Football et géopolitique (Par khady Gadiaga)
Des trajectoires individuelles significatives à l’instar de celle de Sadio Mané, enfant prodige du ballon rond, Bocandé pour rester chez nous, dont un film hommage de Maky Madiba Sylla est actuellement présenté à Yamoussoukro, participent à l’élaboration des grandes légendes du football.
Et certaines permettent de mesurer, au-delà de destins personnels, combien le football est un reflet de son temps.
Beaucoup de gens s’y connaissent en football et on dit souvent qu’au Sénégal, il y 17 millions de sélectionneurs potentiels et que chacun a un avis sur la question… Mais il y a également des gens qui ne connaissent rien au football, qui n’ont pas envie de connaître grand-chose et qui assument complètement cela… Et on peut peut-être dire la même chose de la géopolitique.
Nous ne sommes pas ici à proprement parler des spécialistes du football bien qu’ayant tant de fois usé des pantalons sur les gradins du Stade Anfield à Liverpool, mais n’importe quel amateur de football voit là une opposition énorme de style de jeu, et même de culture et d’identité.
Le foot, entre différentes conceptions de jeu
Les représentations mentales, l’idée qu’on se fait de soi, l’appartenance à une aire culturelle et ses valeurs, sont des entrées majeures de la géopolitique. On retrouve dans le football et sa culture propre des oppositions comme dans tous les autres champs de la culture, de l’art, de l’expression humaine. Et même -pourquoi pas ?- une part de déterminisme : l’altitude, la qualité du sol (herbe, terre, synthétique), ou les conditions atmosphériques auxquelles le jeu s’adapte et les joueurs se forment dans leur apprentissage.
Cette opposition entre deux conceptions du jeu est ancienne. Elle sépare ceux qui mettent l’efficacité (la victoire) au premier plan, par un jeu avant tout défensif, privilégiant l’organisation, la discipline, le sacrifice, la force physique… Il y a la vision plus « romantique », d’un football de construction, d’invention, de création et d’échanges. On retrouve cette opposition dès l’origine du sport. Lorsque les aristocrates britanniques, qui ont fondé et codifié ce sport vers 1870, ils le désignent « dribbling game », le jeu où on dribble : onze joueurs sur le terrain, chacun appliquant et reprenant les valeurs aristocratiques d’héroïsme, de création, d’individualisme, s’en va dribbler pour essayer de marquer…
Le football, une « peste émotionnelle » à usage politique ?
Puissance idéologique du spectacle sportif, dépolitisation des masses populaires, nationalismes exacerbés et dévoyés, hooliganisme et violences sans limites, infiltration de courants extrémistes dans les associations de supporters, corruption et manipulations, tribunes emplies de dizaines de milliers d’hommes -surtout- vociférant insultes et chants agressifs : le discours est connu sur l’aliénation de masse, le sport « opium du peuple », la compétition comme pendant de l’économie de marché, etc.
Certainement l’activité sportive la plus mondialisée, le football est présenté régulièrement (et souvent de façon contradictoire) également comme un outil de rapprochement et de réconciliation entre les peuples ; comme un opium du peuple détournant les masses des questions sociales, ou comme une tribune pour les formes de contestation les plus affirmées ; comme un facteur de promotion pour les plus démunis et d’égalité sociale entre communautés, ou comme une preuve de l’échec du modèle républicain d’intégration ; comme une forme achevée de la financiarisation de l’économie mondiale, ou comme la résistance d’un maillage associatif de clubs animés par une armée d’éducateurs bénévoles.
On pourrait parler du foot comme de la « peste émotionnelle » en développant une critique radicale du sport, dès les années 1970.
L’observation de la place du football dans les régimes autoritaires ou dans les systèmes totalitaires présente bien des éléments de confirmation de cette instrumentalisation.
Cependant, parfois, les mécanismes peuvent être retournés contre le(s) pouvoir(s) et la foule prise à témoin pour contester l’autorité, ou contribuer à construire un ordre politique différent.
Le fameux phénomène de sonkorisation des stades et aires de jeux et de concerts témoigne éloquemment en faveur de cette dynamique de contestation citoyenne.
Le foot, avatar de la mondialisation
Le succès planétaire du football ne se dément pas : la finale de la dernière Coupe du monde en 2022 au Qatar a rassemblé au moins 2 milliards de téléspectateurs, confirmant les records d’audience enregistrés par ce sport sur la planète entière.
Le foot devient une sorte d’avatar de la mondialisation. Il n’en reste pas moins qu’il constitue aussi une pratique culturelle à part entière. Ce qui en fait un objet fréquentable aussi bien pour les incultes que pour les intellectuels de tous bords, susceptible d’enrichir de multiples domaines d’analyse. Mais également porteur de Big Business et d’enjeux politiques subtils mais bien réels, que les discours passionnés persistent à occulter…
C’est l’opium de ce siècle…
Le Pays de la Teranga, championne d’Afrique en titre compte bien accrocher sa deuxième étoile sur son blason et cet après-midi, contre le Cameroun, ne manquera pas de montrer la voie en offrant à travers ses prouesses sur le sol ivoirien, le visage d’une Afrique décomplexée et conquérante.
Go Gaindé, manko jëli cup bi!
K.G 19 Janvier 2023