Au nom du père, des fils, de Touba et du Sénégal (Par Madiambal Diagne)

L’inauguration de la mosquée Massalikul Jinan a été un moment historique à bien des égards. La communauté des fidèles mourides et le Sénégal tout entier viennent de concrétiser la vision de Serigne Saliou Mbacké qui avait à cœur le projet d’édifier un grandiose lieu de culte à Dakar. Ses successeurs à la tête de cette confrérie religieuse musulmane, à savoir Serigne Bara Falilou Mbacké, Serigne Sidy Moctar Mbacké et Serigne Mountakha Bassirou Mbacké, n’ont ménagé d’efforts pour la matérialiser. C’est une réalisation majeure qui, à l’image de biens des lieux de culte dans le monde, servira de repère à des générations futures, de sceau culturel à travers la dévotion cultuelle. L’élan de générosité, de communion et d’ouverture qui a accompagné cette inauguration montre que par la force de la volonté, bien des choses peuvent se faire.

Cet exemple réussi d’efforts collectifs, de participations, de contributions diverses et de générosité devrait être dupliqué dans bien des domaines. On ne le dira jamais assez, la fibre de la foi religieuse pourrait être un levier efficace au Sénégal pour canaliser les énergies et impulser des actions de développement économique et social solidaire. Des questions essentielles, comme par exemple le problème récurrent d’adduction d’eau potable à Touba, pourraient être réglées, surtout que l’État révèle encore sa carence à trouver des solutions durables. Le défi reste donc de trouver les motivations suffisantes pour que tout le monde mette la main à l’ouvrage. La cérémonie d’inauguration, le vendredi 27 septembre 2019, a aussi été marquée par des retrouvailles et une réconciliation entre le président de la République Macky Sall et son prédécesseur Abdoulaye Wade.

Une paix des braves

Image ne pouvait être plus belle pour des gens ayant longuement cheminé ensemble que de faire un pas l’un vers l’autre, taisant tout différend, pensant à un après. L’initiative et l’entremise de Serigne Mountakha Mbacké sont à saluer. Le guide religieux avait fait de la réconciliation entre Abdoulaye Wade et Macky Sall un objectif majeur. De nombreuses démarches discrètes avaient été entreprises jusqu’à l’aboutissement de la poignée de main publique dans la nef de la mosquée. Ainsi, Serigne Mountakha a su concilier, rapprocher et surtout permettre un échange franc entre « père et fils », reconnaissant l’apport de tout un chacun à la communauté nationale et les bienfaits venant d’un échange à partir des postures lucides et sincères. Le Président Macky Sall ne s’y est pas trompé en soulignant que des contentieux ont existé, mais l’heure est au dépassement. Les personnes qui ont pu échanger avec le Président Macky Sall, à l’issue de cette cérémonie, ont sans doute pu constater un grand soulagement chez le chef de l’État. Macky Sall se trouve apaisé par son effusion de retrouvailles avec Abdoulaye Wade. Sur le plan strictement humain, l’homme n’avait pas manqué de souffrir de sa brouille avec Abdoulaye Wade. Il faut aussi dire que Abdoulaye Wade avait toujours considéré qu’un rapprochement dynamique avec Macky Sall était indispensable à la pacification de la vie politique, mais surtout permettrait à préserver le devenir de son fils Karim Wade.

C’est justement ce dernier qui se mettait dans une logique de rancune et refusait cet élan. Karim Wade s’est toujours révélé être l’obstacle aux retrouvailles. Son père Abdoulaye Wade, conscient de son propre sort de mortel, n’a pas manqué de faire comprendre à son fils qu’il aurait intérêt à ce qu’il arrange sa situation avant qu’une situation fâcheuse ne l’en empêchât. Karim Wade est revenu à la raison et a béni les retrouvailles, d’autant qu’il avait déjà fini d’user toutes ses cartouches dans son combat contre Macky Sall. Le commentaire de Karim Wade après les retrouvailles publiques entre Macky Sall et Abdoulaye Wade serait très positif. « C’est une bonne chose », aurait-il confié à des proches. Ces retrouvailles constituent la phase publique de contacts discrets entamés depuis plusieurs mois. Chacun des protagonistes désirait ardemment de faire la paix avec l’autre. C’est comme le dit l’adage Wolof selon lequel « la méthode la plus facile pour séparer des belligérants est d’attendre qu’ils soient tous épuisés ». Abdoulaye Wade et Karim Wade ont pu être fatigués de chercher à combattre Macky Sall, parfois par des procédés peu conventionnels. Macky Sall lui aussi a pu mesurer combien une lutte acharnée à mort avec la famille Wade pourrait s’avérer contre-productive. Il se trouve également que Macky Sall et Abdoulaye Wade ont pu tenir éloignés de leurs discussions secrètes certains de leurs proches qui, pour diverses raisons, étaient assez hostiles à de telles retrouvailles.

« Rien ne sera plus comme avant »

Cette formule du Président Abdou Diouf va devoir à nouveau s’appliquer à la situation politique au Sénégal. Une nouvelle réalité s’impose donc au paysage politique sénégalais. La réconciliation entre Abdoulaye Wade et Macky Sall œuvre dans une dynamique de conciliation et d’échanges, dans une logique de donner au politique la primeur de l’échange. L’idée d’une « paix d’avance » est embrassée, contrairement à un raisonnement d’une « guerre de retard » qui a longtemps marqué le paysage politique sénégalais. Cela a gardé le pays, depuis un long moment, dans une forme de campagne électorale permanente avec la politique au centre des débats malgré les urgences dans le social et l’économie. On dit qu’une paix va rarement de soi ! L’entremise du khalife général des Mourides montre ce à quoi s’attendre d’une autorité morale. En insistant sur le fait que les relations entre un père et un fils sont « inséparables », Serigne Mountakha a surtout rappelé que « le bénéfice de tout le Peuple sénégalais » est ce qui doit résulter des retrouvailles de Massalikul Jinan.

En outre, en enlevant une épine du pied à la fois à Macky Sall et à Abdoulaye Wade, Serigne Mountakha a réussi le tour de force de faire redonner la main, en quelque sorte, au clergé de Touba dans le jeu politique. Le vote massif de la ville de Touba, lors de la dernière élection présidentielle du 27 février 2019, contre le candidat Macky Sall qui ne sera pas moins bien élu, n’avait pas manqué de calmer l’ardeur de certaines personnes qui pensaient que le vote de Touba détermine la vie politique au Sénégal.

Les implications politiques de la mise en œuvre des retrouvailles Wade-Sall vont fatalement faire bouger les lignes. Macky Sall qui avait toujours voulu associer des franges du camp de Abdoulaye Wade à la gestion des affaires publiques saisira cette occasion. De même, il lui devient plus que jamais possible de casser la dynamique d’unité de son opposition politique. Mieux, des retrouvailles avec Wade ne manqueront pas de mettre la pression sur de nombreux proches du Président Sall qui pourraient désormais considérer que le facteur Karim Wade serait un obstacle à d’éventuelles ambitions pour succéder à Macky Sall. Les enjeux sont grands, Macky Sall pourrait ainsi rassembler son parti politique, l’Alliance pour la République, avec la famille politique restée encore fidèle à Abdoulaye Wade.

Quelle sera la place de ce qui resterait encore du Parti socialiste et de l’Alliance des forces de progrès et des autres partis de gauche qui étaient dans la majorité aux affaires ? Les prémisses d’un nouveau grand parti politique qui rassemblerait la nouvelle majorité présidentielle élargie sont ainsi dégagées. Une telle perspective donne encore de la pertinence à ce que nous avancions dans ces colonnes, le 29 juillet 2019, « l’heure pour Macky de créer un nouveau parti ». Ce sera aussi le moyen pour le chef de l’État d’embarquer dans ce nouveau train toutes les personnalités politiques qui ont dernièrement rompu les amarres avec Abdoulaye Wade. Nul ne voudrait être naïf pour ne pas s’imaginer que Macky Sall n’avait pas encouragé les défections des Oumar Sarr, Madické Niang et autres. En revanche, quelle place Idrissa Seck aura-t-il dans ce dispositif ? Karim Wade et son père avaient toujours montré qu’il leur était plus facile de se retrouver avec Macky Sall qu’avec un Idrissa Seck. Le train des retrouvailles va-t-il donc laisser un Idrissa Seck à la gare ? Ousmane Sonko devrait se sentir encore plus isolé, lui qui était le seul à croire qu’il pouvait décrocher le soutien de Abdoulaye Wade.

Il reste que la réconciliation entre les Présidents Sall et Wade augure d’une orientation vers l’essentiel quant aux questions majeures. La dynamique de conciliation et de dépassement ne manquera pas d’impacter la suite des travaux du dialogue national en cours. Le processus électoral, le financement des partis, la représentativité entre autres questions sont discutés sans accrochages majeures dans une démarche constructive. Il est souvent dit du Congrès américain qu’il a perdu de sa collégialité et versé dans la bi-partisanerie aveugle, quand la caméra a fait son entrée dans les sessions. Pareil pourrait être dit du jeu politique sénégalais où les formules chocs, les déclarations pour créer la controverse et séduire le public ont pris le pas sur le débat posé et les échanges constructifs. Cette nouvelle donne s’imposant après l’inauguration de Massalikul Jinan interpellera les acteurs du pouvoir comme de l’opposition sur l’itinéraire qu’ils se tracent pour se faire une place dans le jeu politique et dans l’espace public. Le temps édifiera.

Le président Macky Sall vient d’en rajouter une couche et parachevé cet élan de concorde nationale en décidant d’une remise de peines en faveur de Khalifa Sall et ses codétenus Mbaye Touré et Yaya Bodian. Macky Sall a usé de ses prérogatives de président de la République pour décrisper encore et encore, la situation politique. Ce geste est aussi un geste en direction de Serigne Mountakha Mbacké, qui n’a eu de cesse de demander une mesure de clémence en faveur de son disciple Mbaye Touré.

Serigne Mountakha Mbacké ou la concorde incarnée

L’inauguration de Massalikul Jinan a été forte en symbolique. De façon spontanée, les initiatives solidaires, les rencontres et les exemples redonnant foi à la stabilité et à l’union dans la diversité au Sénégal n’ont pas manqué. Dans un contexte marqué par de récentes crispations sur des questions religieuses, des appels malsains aux antagonismes confessionnels, des menaces ambiantes dans une sous-région confrontée aux extrémismes violents, les audiences du khalife général des Mourides, sa méthode, ses rappels aux disciples et son ouverture à l’autre sont des gages d’assurance. Rien ne se bâtit sans la paix et il est un devoir de le rappeler à tous. Voir l’archevêque de Dakar Monseigneur Benjamin Ndiaye devant Serigne Mountakha Mbacké, psalmodiant des versets du Coran pour une paix durable, est tout un symbole ! L’ouverture de la cour de l’établissement d’enseignement catholique Saint-Pierre et de la cour de l’église Sainte Thérèse à des fidèles musulmans pour effectuer la prière inaugurale est son éloquent continuum. La tenue d’une khadra, prières spécifiques à la communauté de la confrérie des Tidianes, avec des fidèles à l’unisson est un autre exemple attestant, comme l’a soutenu le khalife des Mourides, qu’il faut « résister à n’importe quelle stratégie ». Cerise sur le gâteau, on a vu des milliers de fidèles nettoyer les lieux après la prière. Un tel acte civique est à saluer.

Au vu des enjeux qui se présentent au Sénégal, un tel rappel ne pouvait mieux venir. Je soutenais dans ces colonnes, pour rendre hommage au septième khalife des Mourides, au moment de sa disparition que : « Le défunt khalife Serigne Cheikh Sidy Moctar Mbacké a œuvré de façon inlassable à la concorde dans le Sénégal. Les relations qu’il entretenait avec l’Eglise catholique du Sénégal comme en attestent les témoignages de religieux qui l’ont fréquenté sont plus que révélatrices. La force du Sénégal en tant que communauté unie où tous trouveraient toit et mèneraient vie descente dans le respect de leurs convictions est la trame de fond de tous les appels lancés par Serigne Cheikh Sidy Moctar Mbacké. Ses appels et rappels à la communauté nationale tout comme aux disciples mourides sont à voir avec du recul comme une infatigable main tendue. Main tendue à des gens d’une communauté d’appartenance, main tendue à une communauté plurielle riche de sa diversité. » Cette même main, Serigne Mountakha la tend éloquemment et généreusement à tous pour le bien du Sénégal.

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