L’ONU dénonce les violences contre la presse

A l’issue de la cinquantième session du Conseil des droits de l’homme, tenue du 13 juin au 08 juillet 2022IreneKhan, Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression, a présenté le rapport intitulé « Renforcer la liberté des médias et la sécurité des journalistes à l’ère du numérique ». Dans ledit document, la rapporteuse examine les possibilités, les défis et les menaces que présente l’ère du numérique pour les médias. Elle met en exergue l’utilité des organes d’information indépendants, libres et pluriels sur le plan sociétal et souligne l’importance du journalisme en tant que bien public. Elle constate que la technologie numérique s’est parfois perpétuée, aggravé et multiplié les attaques violentes qui sont commises en toute impunité contre des journalistes, y compris les actes de violence sexiste en ligne, le harcèlement judiciaire et la surveillance ciblée des journalistes, la censure du contenu et la manipulation des organismes de réglementation.

Restrictions de la liberté des médias 

Irène Khan rapporte qu’à l’instar d’autres formes d’expression, la liberté des médias ne peut être restreinte que si les trois conditions prévues à l’article 19 (par. 3) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques sont remplies. Premièrement, la restriction doit être fixée par la loi en des termes précis et clairs et ne doit pas être laissée à la libre discrétion des personnes chargées de son application. Deuxièmement, elle ne peut être imposée que pour atteindre l’objectif légitime spécifique consistant à veiller au respect des droits ou de la réputation d’autrui, ou à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Troisièmement, la restriction doit être strictement nécessaire, appropriée, proportionnée à l’objectif légitime poursuivi et directement à même de le réaliser. Les restrictions doivent être interprétées de manière étroite, mettre en jeu la mesure la moins intrusive possible et n’être en aucun cas si drastiques qu’elles portent atteinte à l’essence même du droit concerné.

Bien qu’en vertu des principes de nécessité et de proportionnalité, les journalistes qui diffusent des informations afin de servir un intérêt public légitime ne devraient pas être poursuivis, de nombreux États utilisent la législation visant à protéger la sécurité nationale, l’ordre public et la moralité publique pour réprimer la production de contenu journalistique critique à l’égard de leurs politiques. La Rapporteuse spéciale considère que l’instrumentalisation de la législation au détriment des journalistes menace sérieusement la liberté des médias. La censure préalable est une mesure de contrôle des médias jugée excessive et l’interdiction pure et simple de certains organes de presse ou sites Web, ainsi que les coupures d’Internet, constituent également dans de nombreux cas des violations des principes de nécessité et de proportionnalité.

Menaces à la sécurité des journalistes et à la liberté  des médias

D’après le document, le droit des journalistes de faire leur travail en toute sécurité et sans crainte est indissociable de la notion de liberté des médias. Que ce soit en ligne ou hors ligne, l’objectif de ceux qui menacent les journalistes reste le même : dissuader les journalistes de faire des reportages d’intérêt général en augmentant les risques qu’ils encourent.

Il ressort du Plan d’action des Nations Unies que les menaces à la sécurité des journalistes comprennent non seulement les agressions physiques, mais également les poursuites, les arrestations, l’incarcération et le refus de couverture journalistique, ainsi que l’impunité des crimes commis contre des journalistes. À l’ère du numérique, on considère qu’un journaliste est victime d’une agression dès lors que des menaces numériques lui valent de subir un préjudice, que celui-ci soit moral ou corporel.

On examinera ci-après trois des principales menaces qui pèsent actuellement sur la pratique du journalisme en toute sécurité et en toute liberté à l’ère du numérique, à savoir l’impunité des crimes commis contre des journalistes, les attaques sexistes en ligne et la surveillance numérique ciblée.

Il convient aussi d’évoquer la montée des attaques numériques transnationales qui visent les journalistes de la diaspora. Par exemple, des journalistes iraniens travaillant pour le service persan de la BBC et d’autres organes de presse émettant en farsi en dehors de la République islamique d’Iran ont été victimes d’agressions et de harcèlement en ligne et ont fait l’objet de mesures de surveillance, et les autorités iraniennes ont mené des enquêtes criminelles à leur sujet et gelé leurs avoirs, et les ont poursuivis pour diffamation, en violation du droit international des droits de l’homme.

Impunité des crimes commis contre des journalistes 

Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), entre 2016 et 2021, 455 journalistes ont été tués alors qu’ils faisaient leur travail, lit-on dans le rapport. Certains ont été victimes d’exécutions extrajudiciaires, d’autres d’attentats terroristes ciblés, d’autres encore ont trouvé la mort au cours de conflits. Dans plus de huit cas sur dix, les responsables n’ont pas été traduits en justice.

Tuer des journalistes pour les réduire au silence est la forme de censure la plus abominable qui soit. Le fait que l’État ne poursuive pas ni ne sanctionne les auteurs de crimes graves commis contre des journalistes prive les familles des victimes de justice, enhardit les auteurs de tels crimes et peut dissuader d’autres journalistes de couvrir des sujets à haut risque. Les pays où le taux d’impunité est élevé présentent également un taux élevé de décès de journalistes, ce qui met en évidence la corrélation entre l’impunité et la commission de tels crimes.

Une forte mobilisation de la société civile et une prise de conscience croissante du problème ont conduit le Conseil de sécurité et le Conseil des droits de l’homme à adopter une série de résolutions dans lesquelles ils ont demandé que des enquêtes efficaces soient menées dans les meilleurs délais sur les attaques contre des journalistes. En 2021, pour la première fois dans le cadre de l’action internationale en faveur de la lutte contre la criminalité, les États se sont accordés sur l’importance de mettre fin à l’impunité des crimes commis contre des journalistes dans la résolution76/181 de l’Assemblée générale.

De plus en plus de plans d’action nationaux sont conçus sur le modèle du Plan d’action des Nations Unies. En 2021, 14 États ont adopté des lois et engagé une réforme des procédures d’application des lois afin de protéger les journalistes, et 11 ont procédé à un renforcement des capacités dans ce domaine. Faisant fond sur les leçons tirées, le Mexique a entrepris de consolider ses mécanismes de prévention et de protection avec le concours de la société civile. Certains États ont fourni des ressources au Fonds Mondial de l’UNESCO pour la défense des médias et au Fonds mondial de protection des journalistes contre la diffamation créé par les États-Unis d’Amérique. Un certain nombre d’États ont mis en place des régimes de visa spéciaux pour les journalistes en danger.

Au niveau régional, la Plateforme du Conseil de l’Europe pour renforcer la protection du journalisme et la sécurité des journalistes est un bon exemple de mécanisme d’alerte et d’intervention rapides qui associe les pouvoirs publics et les organisations de journalistes. Des centaines de journalistes ont également bénéficié du mécanisme de l’Union européenne pour la protection des défenseurs des droits de l’homme. Au niveau mondial, l’UNESCO soutient le développement des capacités des juges et des procureurs et a publié des lignes directrices destinées aux procureurs relatives aux crimes commis contre les journalistes.

Entre autres bonnes pratiques émanant des journalistes eux-mêmes, on peut citer la création de ForbiddenStories, association à but non lucratif qui publie des enquêtes en lien avec des affaires de meurtre ou de détention de journalistes. Forbidden Stories a pour devise :

« Ils ont tué le messager. Ils ne tueront pas le message».

Malgré ces initiatives, l’impunité continue de régner dans des proportions alarmantes tant en période de conflit qu’en temps de paix, car les États ne respectent pas les normes internationales relatives aux droits de l’homme. La carence et la corruption des forces de l’ordre et de l’appareil judiciaire, ainsi que les liens entre des acteurs politiques, des chefs d’entreprise corrompus et la criminalité organisée, font partie des facteurs clefs qui entrent en jeu, ainsi qu’il ressort du rapport issu de l’enquête publique menée sur le meurtre de Daphne Caruana Galizia, journaliste d’investigation maltaise.

Les titulaires de mandat au titre des procédures spéciales, dont la Rapporteuse spéciale sur le droit à la liberté d’opinion et d’expression, le Groupe de juristes de haut niveau sur la liberté des médias, certains États et des groupes de la société civile ont préconisé d’adopter des mesures sévères pour lutter contre l’impunité des crimes commis contre des journalistes, et notamment proposé de créer un mécanisme d’enquête international indépendant, de renforcer les capacités des mécanismes des Nations Unies, d’infliger des sanctions ciblées et de renforcer les capacités de la société civile. Ces recommandations méritent une attention sérieuse de la part du Conseil des droits de l’homme ainsi que de l’UNESCO et du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) dans le cadre du Plan d’action des Nations Unies.

Attaques commises en ligne contre des femmes journalistes 

Les attaques commises en ligne contre des femmes journalistes constituent l’une des plus graves menaces contemporaines pour la sécurité de ces femmes, l’égalité des sexes et la liberté des médias. Ces attaques violentes, à caractère fortement sexuel, qui sont menées de manière coordonnée par des individus malintentionnés, visent souvent des femmes issues de minorités religieuses et ethniques ou des personnes de genre non conforme aux catégories établies.

S’appuyant sur les résultats d’une enquête réalisée en 2020 et sur d’autres travaux de recherche, l’International Center for Journalists a publié, à la demande de l’UNESCO, un rapport dans lequel il a constaté que ces actes de violence causaient des préjudices moraux bien réels, décourageaient le journalisme d’intérêt général, mettaient fin à la carrière des femmes et privaient la société de voix et de points de vue importants. L’analyse de millions de commentaires publiés dans les médias sociaux visant deux journalistes en vue, Maria Ressa et Carole Cadwalladr, a permis de mettre en évidence dans ce rapport des violences systématiques et inquiétantes, notamment des menaces de mort et de viol, de la misogynie en ligne et de la manipulation psychologique organisée faisant intervenir des personnalités du monde politique.

Depuis 2017, l’Assemblée générale et le Conseil des droits de l’homme ont adopté plusieurs résolutions condamnant la violence en ligne contre les femmes journalistes. Ils demandent aux États de créer et de préserver, en droit et dans la pratique, un environnement sûr et favorable qui permette aux journalistes d’exercer leur métier, notamment en mettant fortement l’accent sur la lutte, en ligne et hors ligne, contre la discrimination sexuelle et sexiste et la violence à l’égard des femmes journalistes, ainsi que sur les particularités des menaces et des actes de harcèlement en ligne que subissent les femmes journalistes.

C’est aux États, premiers débiteurs d’obligations relatives aux droits de l’homme, qu’il incombe au premier chef de veiller à protéger les femmes journalistes contre la violence en ligne. Les médias sociaux, principaux vecteurs des attaques en ligne, sont pour leur part tenus d’exercer une diligence raisonnable et de prendre des mesures pour assurer la sécurité des journalistes sur leurs plateformes, conformément aux Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme.

Les employeurs du secteur des médias devraient veiller à dispenser une formation et à offrir un soutien aux femmes journalistes, y compris aux pigistes. En outre, les organes d’information devraient éviter d’instaurer des politiques relatives aux médias sociaux lésant effectivement les femmes journalistes qui dénoncent leurs agresseurs ou rassemblent des preuves des attaques qu’elles subissent.

Le secteur canadien de l’information offre un exemple des bonnes pratiques qui commencent à se faire jour : la Fondation internationale pour les femmes dans les médias et l’International Center for Journalists ont en effet créé un centre d’intervention en cas de violence en ligne.

L’augmentation de la violence sexiste en ligne visant des journalistes et son lien avec les agressions commises hors ligne mettent en lumière la nécessité de disposer d’un mécanisme d’alerte précoce permettant de prévenir une escalade des menaces. Le Ministère des affaires étrangères, du Commonwealth et du développement du Royaume-Uni finance des travaux de recherche destinés à soutenir la création d’un tel système. D’autre part, la Commission européenne et le Gouvernement écossais ont récemment pris des mesures pour repérer les infractions misogynes et les discours de haine sexiste, y compris les attaques en ligne contre des femmes journalistes, puisqu’ils ont fait une proposition de directive et adopté des dispositions législatives types.

Surveillance numérique ciblée des journalistes 

La surveillance électronique ciblée des journalistes représente une menace pour le journalisme d’investigation, met en péril la confidentialité des sources et expose les journalistes et leurs sources à un risque accru de préjudice corporel. On ne connaît pas l’ampleur et l’incidence réelles de la surveillance ciblée des journalistes en raison du manque de transparence entourant cette pratique et le marché qui la favorise ; il ressort toutefois d’informations qui ont été révélées que de telles méthodes sont couramment employées, en violation flagrante du droit international des droits de l’homme, et qu’elles ont de lourdes conséquences pour la liberté des médias et la sécurité des journalistes.

La technologie de surveillance de pointe a été conçue pour permettre aux autorités d’accéder à l’intégralité d’un appareil infecté et, donc, à des informations éventuellement protégées par chiffrement. Si de nombreuses entreprises ont été impliquées dans des opérations de surveillance numérique ciblée de journalistes ces dix dernières années, le Projet Pegasus a révélé en 2021 qu’au moins 180 journalistes dans 20 pays étaient potentiellement surveillés par des États à l’aide du logiciel espion Pegasus conçu par l’entreprise NSO Group Technologies (ci-après le « groupe NSO »). Début 2022, d’autres enquêtes ont révélé que Pegasus était utilisé dans un autre pays pour surveiller plus de 30 personnes ayant des liens avec les médias.

La surveillance numérique ciblée sert en définitive de moyen d’intimidation, puisqu’elle accroît les risques encourus par les journalistes et leurs sources, et nuit au journalisme critique. Dans un certain nombre de cas, il a été prouvé que cette pratique avait ouvert la voie ou fait suite à des agressions physiques, des mesures de détention, des actes de harcèlement judiciaire, des incarcérations et des campagnes de dénigrement.

Les femmes journalistes sont ciblées de manière disproportionnée dans certains pays et subissent de graves préjudices en raison de la surveillance numérique ciblée dont elles font l’objet et qui sévit comme une forme de violence sexiste. Les données personnelles de femmes journalistes obtenues au moyen de techniques de surveillance semblent avoir été utilisées dans des campagnes de violence en ligne (y compris pour faire du « doxxing »).

Le recours généralisé à la surveillance numérique finit par décourager les sources qui veulent garder l’anonymat de communiquer avec les journalistes, ce qui a un effet dissuasif important sur les lanceurs d’alerte et les journalistes d’investigation. La portée extraterritoriale de la surveillance numérique ciblée permet aux États de contrôler l’expression au-delà de leur territoire, ce qui risque d’étouffer le journalisme d’investigation au niveau mondial. L’utilisation de technologies de surveillance numérique ciblées pour surveiller les activités des journalistes est contraire au droit international des droits de l’homme, en vertu duquel le journaliste et la source jouissent de droits qui ne peuvent être limités que dans le respect des conditions strictes énoncées à l’article 19 (par. 3) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

La surveillance numérique ciblée augmente également les coûts liés à l’exercice du journalisme, ce qui peut compromettre davantage la viabilité et le pluralisme des médias. La formation à la sécurité numérique, les outils de sécurité numérique et la vigilance en la matière sont devenus des aspects essentiels du travail d’un journaliste, et ceux-ci nécessitent des ressources et une adaptation constante. Les journalistes ont régulièrement recours au chiffrement de bout en bout, dont la disponibilité est elle-même menacée dans certains États. Toutefois, même les techniques de chiffrement avancées et une vigilance constante ne peuvent empêcher les attaques « zéro clic » qui sont lancées contre un appareil sans même que son propriétaire ait à cliquer sur un lien, ce que les logiciels espions commercialisés par le groupe NSO permettent de faire.

Les États affirment avoir besoin des technologies de surveillance numérique ciblées pour prévenir la criminalité et le terrorisme, et des entreprises telles que le groupe NSO soutiennent que l’utilisation de leurs outils de surveillance est strictement limitée à ces fins. Cependant, il a été amplement démontré que les États recourent en parallèle de manière généralisée à des technologies de surveillance avancées pour cibler les journalistes qui produisent un contenu critique à l’égard des pouvoirs publics ou dont les travaux portent sur des questions politiques ou sociales sensibles. Des États utilisent la surveillance numérique ciblée pour limiter le journalisme d’investigation, contrôler le discours public, prendre des mesures répressives contre des journalistes et traquer leurs sources, en violation de l’article 19 du Pacte. Au vu de tout cela, il est extrêmement préoccupant de constater que certains États ont pris des mesures pour légaliser l’utilisation de la surveillance numérique ciblée, à l’instar de l’Allemagne, qui a modifié sa législation en 2021 pour supprimer, dans le contexte des enquêtes menées sur des actes terroristes, les exemptions de surveillance et de piratage dont bénéficient les journalistes.

Les États et les entreprises qui exercent une surveillance ciblée se dispensent généralement de rendre des comptes en invoquant la sécurité nationale, le secret d’État et l’immunité souveraine pour justifier leurs activités. Si les règles de l’Union européenne en matière de contrôle des exportations, telles qu’elles ont été modifiées dernièrement, permettront désormais d’obtenir des renseignements sur ces activités, elles ne répondent pas suffisamment au problème. Un certain nombre d’actions en justice et d’enquêtes sont en cours (on peut citer les poursuites engagées par WhatsApp contre le groupe NSO, la constitution d’une commission d’enquête par le Parlement européen, la décision de la Cour suprême de l’Inde d’ouvrir une enquête indépendante et l’inscription sur liste noire de deux entreprises par les États-Unis), ce qui témoigne de la vive inquiétude de la société civile, de certains États, des organes de contrôle et des entreprises du numérique. Toutefois, l’impunité persistera tant que des règles internationales et des lois nationales solides n’auront pas été adoptées et appliquées afin de protéger les journalistes et le journalisme contre la surveillance numérique ciblée.

Utilisation de la législation au détriment des journalistes  et de la liberté des médias 

Différentes lois − portant sur tout un éventail de sujets, de la sédition jusqu’à la censure − ont été utilisées de tout temps pour sanctionner les journalistes et réprimer la liberté des médias. À l’ère du numérique, certains États ont relancé cette pratique avec une virulence inédite. L’arsenal juridique s’est élargi et comprend désormais les lois relatives à la diffamation criminelle en ligne, à la lutte contre le terrorisme, à la cybersécurité et aux fausses nouvelles (« fake news »). Dans de nombreux cas, la publication en ligne est passible de sanctions plus sévères que la publication dans la presse écrite ou la diffusion audiovisuelle. En outre, on constate un recours fréquent aux enquêtes sur des faits de diffamation, aux contrôles fiscaux ou autres enquêtes financières, ainsi qu’au harcèlement judiciaire ou aux poursuites abusives, le but étant de harceler et d’intimider les journalistes ou les organes de presse.

La lauréate du prix Nobel Maria Ressa offre peut-être l’exemple le plus criant de l’instrumentalisation de la législation. Elle a fait l’objet d’un flot d’actions en justice aux Philippines pour infractions fiscales, usurpation de biens, fraude en valeurs mobilières et diffamation ; elle a notamment été poursuivie pour diffamation criminelle en ligne, et condamnée avec effet rétroactif. Mises bout à bout, les accusations pénales la concernant étaient passibles d’une peine cumulée de près de cent années d’emprisonnement.

Les arrestations et les poursuites dont sont victimes des journalistes et qui aboutissent à de lourdes amendes et à des peines d’emprisonnement sévères servent non seulement à intimider et à punir les principaux intéressés, mais aussi à créer un climat de peur, qui dissuade leurs confrères d’exercer un journalisme critique. Ces dernières années, la Rapporteuse spéciale a exprimé sa profonde préoccupation face à des lois draconiennes et des condamnations sévères dans des pays aussi divers que le Bélarus, l’Égypte, la Fédération de Russie, l’Iran (République islamique d’), le Myanmar, Sri Lanka, la République arabe syrienne, la Turquie, le Venezuela (République bolivarienne du) et le Viet Nam.

Après avoir échangé avec le Gouvernement de la République de Corée au sujet du projet de loi sur l’arbitrage de la presse en 2021, la Rapporteuse spéciale s’est félicitée de la décision du Parlement de former une commission spéciale multipartite sur la réforme des médias, chargée de réexaminer le projet de loi et d’autres questions relatives à la réforme des médias.

Incrimination du journalisme 

La sécurité nationale sert souvent de justification pour poursuivre les journalistes qui critiquent les politiques publiques ou les personnalités du gouvernement. À Hong Kong (Chine), la loi contre la sédition a été utilisée pour arrêter des journalistes et fermer tous les médias indépendants. En Inde, des journalistes ont été arrêtés en application des lois contre la sédition et le terrorisme pour avoir couvert de manière critique des faits survenus au Cachemire ainsi que des manifestations d’agriculteurs à Delhi.

Les États sont tenus de veiller à ce que les lois sur la sécurité nationale soient conçues et appliquées de façon à satisfaire aux conditions strictes de légalité, de nécessité et de proportionnalité énoncées à l’article 19 (par. 3) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Néanmoins, parmi les problèmes que posent couramment les lois sur la sécurité figurent l’absence de définition claire des termes clefs, tels que « terrorisme » ou « extrémisme violent », ou l’utilisation de termes vagues, tels que « apologie », « glorification », « militantisme » ou « propagande du terrorisme », qui laissent une marge de manœuvre considérable à une utilisation abusivePar exemple, en Turquie, où 41 journalistes étaient toujours emprisonnés fin 2021, le Code pénal et la législation antiterroriste répriment en des termes ambigus l’expression d’un large éventail de propos, notamment des propos qui traduisent un « dénigrement de la nation turque » ou des propos « outrageux à l’égard du Président ».

Les lois sur la diffamation criminelle et la lèse-majesté sont fréquemment utilisées contre les journalistes qui critiquent des personnalités du gouvernement ou des membres de la famille royale. Non seulement les sanctions pénales, en particulier les peines d’emprisonnement, sont intrinsèquement disproportionnées lorsqu’elles visent des journalistes qui font simplement leur travail, mais elles constituent également un abus de pouvoir de la part des responsables publics. Les personnes qui exercent des fonctions publiques doivent s’attendre à ce que leur conduite fasse l’objet d’un examen public plus attentif et prêter le flanc à la critique.

Des juridictions nationales en Ouganda, en Zambie et au Zimbabwe ont jugé que les lois sur la diffamation criminelle étaient inconstitutionnelles et injustifiées dans une société démocratique moderne. En 2016, la cour régionale des États d’Afrique de l’Ouest a conclu que les lois gambiennes définissant les infractions pénales de sédition et de diffusion de fausses nouvelles (« fake news ») et la diffamation criminelle étaient contraires au droit international et a ordonné leur abrogation. Le Comité des droits de l’homme a demandé aux

États d’envisager d’abolir l’infraction de diffamation criminelle. Cependant, 160 pays dans le monde, y compris certains pays de l’Union européenne, chantre de la liberté des médias, disposent toujours de lois pénales incriminant la diffamation. La Rapporteuse spéciale renouvelle son appel en faveur d’une interdiction mondiale de l’incrimination de la diffamation et de la sédition en ligne et hors ligne.

Dans certains cas, les États ont ostensiblement érigé le journalisme en infraction pour protéger le droit à la vie privée, ce qui, dans les faits, a toutefois eu pour effet d’empêcher la divulgation d’informations préjudiciables à de puissantes entités politiques, commerciales ou industrielles. Ainsi, en Suisse, selon la loi fédérale sur les banques, les employés de banque qui signalent des irrégularités ou les tierces personnes, y compris les journalistes, qui relayent des informations à ce sujet sont passibles d’une peine allant jusqu’à cinq ans d’emprisonnement. Cette loi semble avoir pour effet d’entraver le journalisme d’investigation, d’étouffer les investigations légitimes sur des allégations de crimes financiers et de dissuader les médias suisses de s’y intéresser. En cas de fraude financière, les États devraient reconnaître l’intérêt public que présente la divulgation d’informations et respecter la liberté des médias.

Le droit international des droits de l’homme offre une protection solide aux lanceurs d’alerte, aux sources des journalistes et au journalisme d’intérêt général. Dans ce contexte, les efforts continus que déploient les États-Unis pour poursuivre Julian Assange, le fondateur de Wikileaks, font craindre que les accusations portées sur le fondement de la loi sur l’espionnage n’établissent un précédent permettant de sanctionner non seulement les lanceurs d’alerte, mais aussi les journalistes, sans se demander si leur intervention sert l’intérêt général.

Loi sur les fausses nouvelles (« fake news ») 

Une semaine après l’invasion de l’Ukraine par la Fédération de Russie, le Parlement russe a adopté une loi interdisant, sous peine de lourdes sanctions pénales, de diffuser, concernant la guerre en Ukraine, des informations contraires au discours officiel du Gouvernement russe − et même de qualifier la situation de « guerre ». La loi relative aux fausses nouvelles sur la guerre a incité les organes de presse russes à censurer les informations qu’ils diffusent sur la situation en Ukraine. Certains organes de presse indépendants ont fermé ou ont suspendu leurs activités du fait des restrictions plus lourdes imposées aux journalistes. Craignant pour la sécurité de leur personnel, plusieurs organes de presse internationaux ont annoncé leur intention de cesser de couvrir les événements depuis Moscou. Les autorités russes ont en outre bloqué entièrement ou partiellement l’accès aux articles publiés par d’autres organes de presse. Ce black-out total de l’information fait partie des mesures que les autorités ont prises pour restreindre la liberté des médias en Fédération de Russie.

Fin février 2022, la Commission européenne a interdit à deux organes de presse appartenant à la Fédération de Russie et contrôlés par les autorités russes de diffuser en Union européenne au motif qu’ils répandaient la désinformation, diffusaient des informations relevant de la propagande et représentaient dès lors une menace pour l’ordre public et la sécurité. L’interdiction totale d’un organe d’information constitue une restriction draconienne de la liberté d’expression. Si le droit international autorise que l’on restreigne la liberté d’expression aux fins de la sauvegarde de l’ordre public et de la sécurité nationale, cette mesure doit être strictement nécessaire et proportionnée. Étant donné que l’on peut tout à fait lutter contre la désinformation sans interdire des organes de presse, le caractère proportionné des mesures prises par l’Union européenne à cet égard soulève des questions.

Le meilleur moyen de lutter contre la désinformation n’est pas de censurer ni d’interdire des organes d’information, mais de promouvoir la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias. Or, de nombreux gouvernements ont légiféré ostensiblement pour interdire les fausses nouvelles ou la désinformation en ligne, et ce, surtout depuis le début de la pandémie. Il semble toutefois que leur but véritable soit de faire la chasse aux critiques émises à l’égard des politiques publiques. En Égypte, par exemple, des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme qui avaient rendu compte de la situation dans le pays sur le plan des droits de l’homme ont été persécutés pour avoir diffusé de fausses nouvelles. Au Cambodge, six organes de presse se sont vu retirer leur agrément pour avoir diffusé des informations concernant la COVID-19 en 2021.

En règle générale, les lois sur les fausses nouvelles ne satisfont pas au triple critère de légalité, de légitimité et de nécessité énoncé à l’article 19 (par. 3) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Parmi ces lois bancales, on peut citer par exemple la loi sur la sécurité numérique adoptée par le Bangladesh, qui rend passibles de lourdes sanctions tout un éventail d’actes imprécis, notamment les atteintes à la sécurité nationale, la diffamation criminelle en ligne et la désinformation, et confère aux autorités de vastes pouvoirs d’enquête, de perquisition et de saisie de nature éminemment intrusive. Son application a donné lieu à la détention arbitraire, à la torture et au décès en détention de plusieurs journalistes, et a eu un effet dissuasif sur le journalisme en ligne comme hors ligne. La Rapporteuse spéciale demande une nouvelle fois que cette loi soit abrogée.

Parmi les pays qui ont récemment adopté ou mis en application des lois non conformes aux normes internationales, on peut citer notamment, à titre d’exemple, Cuba, la France, l’Italie, la Malaisie, le Qatar et Singapour.

Harcèlement judiciaire des journalistes 

Dans certains pays, on menace les journalistes d’enquêter sur eux et de les poursuivre pour des questions sans lien avec le journalisme, notamment pour infraction à la législation sur la COVID ou au droit fiscal, mais dans des circonstances qui portent à croire que les procédures judiciaires en question seraient intentées à titre de représailles ou pour intimider les intéressés.

En outre, tant des gouvernements que des acteurs privés s’en prennent de plus en plus aux journalistes et aux organes d’information − ainsi qu’aux défenseurs des droits de l’homme − en les poursuivant en justice, généralement pour diffamation, et en leur réclamant des dommages et intérêts exorbitants. Ces procès, connus sous le nom de poursuites stratégiques contre la mobilisation publique, n’ont pas tant pour but de permettre à ceux qui les intentent d’obtenir gain de cause devant la justice, mais bien de leur permettre d’intimider la partie adverse ou d’épuiser ses ressources et de l’épuiser moralement. En faisant passer ces actions en justice pour des procès ordinaires, on convertit des questions d’intérêt général en différends privés.

Daphne Caruana Galizia, qui a été tuée en 2017 en raison de son travail de journaliste d’investigation, a été poursuivie au civil pour diffamation à 42 reprises par des politiciens maltais et leurs associés. Quatre ans après son assassinat, sa famille se bat toujours devant les tribunaux pour faire classer sans suite huit affaires pendantes. Le sort qui a été réservé à Daphne CaruanaGalizia a été le point de départ d’une mobilisation en faveur de l’adoption d’une loi efficace contre les procès de ce type à l’échelle européenne. La Rapporteuse spéciale prend note avec satisfaction de la décision du Conseil de l’Europe d’établir une recommandation concernant les poursuites stratégiques contre la mobilisation publique et de la proposition de la Commission européenne d’introduire dans le projet de législation sur la liberté des médias des mesures visant à lutter contre ces procès.

Les États doivent redoubler d’efforts pour lutter contre ce recours abusif à la justice, qui est de plus en plus fréquent.

Le Groupe de travail sur la question des droits de l’homme et des sociétés transnationales et autres entreprises a demandé aux entreprises de cesser d’intenter des procès abusifs contre des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme.

Il convient de saluer la création du Legal Network for Journalists at Risk, qui constitue un progrès encourageant dans l’amélioration de la protection juridique assurée aux journalistes, partout dans le monde. Cette plateforme, gérée par plusieurs organisations de la société civile, coordonne les différentes ressources et les différentes formes d’aide qui sont, à l’heure actuelle, proposées gracieusement par diverses organisations aux journalistes et aux organes d’information qui ont impérativement besoin de bénéficier d’une assistance juridique.

Menaces pour le pluralisme et la diversité des médias 

La concentration de la propriété des médias est de longue date considérée comme une menace grave pour le pluralisme des médias. Plus les organes d’information sont pluriels − dans la production, le financement et la diffusion de leur contenu journalistique − plus il est difficile de contrôler l’ensemble de l’information communiquée par les médias. La consolidation de la propriété des médias par la création de monopoles contrôlés par l’État, le parti au pouvoir ou de puissantes entreprises privées associées à des acteurs politiques n’est pas simplement une question de concurrence économique et d’exploitation de rentes ; c’est aussi une menace grave pour la liberté des médias et, plus généralement, la liberté d’expression et le droit à l’information.

Parmi les outils permettant de nuire au pluralisme, on peut citer : l’exercice d’un contrôle (ou l’absence de contrôle) sur la propriété et la concurrence; l’exploitation des lois nationales contre la propriété étrangère ; la diminution des financements publics visant à menacer la viabilité des organes d’information.

Certains cas de concentration de la propriété des organes d’information, observés dans des démocraties libérales, ont donné lieu à la diffusion d’informations éminemment partisanes, ce qui a érodé la confiance dans la crédibilité du journalisme et suscité des débats politiques nuisibles et clivants sur des questions telles que les élections, les changements climatiques et les migrations. Selon un indice mondial de la concentration des médias, l’Australie arrive au troisième rang des pays dans lesquels le marché de la presse est le plus concentré, après la Chine et l’Égypte. Ce degré de concentration et de domination porte atteinte à la diversité des médias et au débat démocratique.

Le pluralisme et la diversité des médias sont amoindris par les inégalités entre les sexes observées dans les médias. À l’échelle mondiale, les femmes représentent seulement 25 % des sujets et des sources d’information. Elles sont sous-représentées aux postes de direction et aux postes de cadre supérieur dans les médias. D’autres groupes défavorisés rencontrent des difficultés semblables. Si des progrès ont été accomplis pour ce qui est d’améliorer l’égalité entre les sexes et la diversité, il reste beaucoup à faire dans ce domaine.

De nombreux États considèrent que leur devoir « d’abstention » consiste à laisser libre cours à la libéralisation des médias par la déréglementation et la privatisation. S’il est vrai que cela a ouvert la voie au pluralisme des médias et au journalisme indépendant, bien souvent, les États ne prennent pas de mesures pour assurer une réglementation indépendante ou une autoréglementation reconnue et pour conférer un statut juridique aux médias (par exemple, aux médias associatifs) − des mesures pourtant essentielles pour asseoir la liberté des médias.

Parmi les bonnes pratiques observées pour ce qui est du pluralisme, de la viabilité et de l’indépendance des médias, on peut citer l’aide soutenue et suffisamment importante dont bénéficient les médias du service public dans plusieurs pays nordiques et baltiques et les mesures prises pour renforcer les médias publics indépendants en Afrique du Sud.

Crise de la viabilité des médias 

La viabilité des médias ne relève pas uniquement du domaine économique ; c’est aussi une question qui touche les droits de l’homme. Si les médias indépendants d’intérêt général ne peuvent pas survivre − et encore moins prospérer − la désinformation deviendra galopante, les journalistes seront d’autant plus menacés et l’exercice, par les sociétés, de leur droit à l’information s’en trouvera compromis.

Ces dernières années, l’effondrement du modèle économique fondé sur le financement publicitaire qui caractérisait les médias a donné lieu à une crise financière qui a amené les organes d’information à réduire leur personnel ou à fermer dans bon nombre de pays. Il y a eu un recul du pluralisme des organes d’information et de la densité médiatique, à l’échelle locale et sur le plan de la diversité linguistique. La crise a été aggravée par la pandémie de COVID-19, ce qui a eu des conséquences désastreuses pour les journalistes et pour le pluralisme des médias. Si les médias nationaux et internationaux et les organes d’information de niche s’en sortent grâce aux abonnements, aux paywalls, aux contributions des lecteurs et aux subventions (certains prospèrent même grâce à des modèles de financement innovants), de nombreux autres pourraient bien connaître « l’extinction médiatique ».

La réorientation massive des revenus publicitaires vers les médias sociaux et les moteurs de recherche ces dix dernières années et le pouvoir croissant des entreprises d’Internet qui contrôlent la technologie publicitaire ont encore érodé les fondations économiques du pluralisme des organes d’information, facilité la mainmise sur les médias, réduit la diversité des contenus et compliqué la tâche des organes d’information, qui se battent pour résister à d’autres pressions.

Pour promouvoir la viabilité des médias, les gouvernements ont pris différentes mesures, dont les résultats sont mitigés ; on peut citer notamment l’aide publique en faveur de l’innovation journalistique, les subventions, les abattements fiscaux et l’octroi de bourses aux médias du service public ou aux médias associatifs. Cela étant, la dépendance des médias à l’égard des subventions publiques ou de celles versées par leurs propriétaires comporte un risque pour l’indépendance des médias. Par exemple, différents programmes publics ont été mis en place pour soutenir le journalisme d’intérêt général au cours de la crise financière qui a accompagné la pandémie de COVID-19. Or, dans certains cas, les gouvernements ont versé les fonds en question de façon à ne soutenir que les organes de presse qui étaient favorables à leurs politiques, faisant l’impasse sur ceux qui publiaient des contenus critiques à l’égard de celles-ci.

Le Code australien de négociation des médias (Australian News Media Bargaining Code) et les règles du Parlement européen sur la publication d’hyperliens vers des articles de presse font obligation aux sociétés de communication Internet de partager leurs revenus avec les organes d’information. Certains craignent que le modèle australien n’ait pour effet de marginaliser encore davantage les petits organes de presse à mesure que des accords bilatéraux seront conclus entre leurs homologues plus importants et les entreprises d’Internet.

Dépendance à l’égard des médias numériques

La dépendance croissante des médias à l’égard des plateformes Internet, d’une part, et, d’autre part, le pouvoir, en grande partie incontrôlé, de ces plateformes, surtout des grands moteurs de recherche et des grandes plateformes de médias sociaux, soulèvent de sérieuses préoccupations. Pour bon nombre de médias, les plateformes numériques sont d’importants canaux de diffusion et de participation du public. En tant que gardiennes du monde numérique, elles ont une influence majeure sur l’indépendance, le pluralisme, la diversité et la viabilité des médias, ainsi que sur l’accès du public à l’information.

Les plateformes numériques contrôlent la disponibilité, la diffusion et l’accessibilité des contenus en fonction d’algorithmes, de normes communautaires et d’intérêts économiques, mais elles ne rendent aucun compte et ne respectent guère le principe de transparence. Du fait de leur rôle de curatrices et de modératrices de contenu, elles prennent des décisions éditoriales déterminantes. La modération automatisée des contenus au moyen d’algorithmes a conduit à la clôture permanente ou temporaire des comptes de journalistes et de militants, sans que les motifs de cette clôture soient communiqués de façon transparente.

Les plateformes subissent en outre des pressions de plus en plus fortes de la part des gouvernements, qui entendent les contraindre à dépublier, supprimer, désindexer et filtrer du contenu, y compris journalistique, et à bloquer l’accès à du contenu, ce qui se traduit par une forme de censure opaque et privatisée.

Certaines des plus grandes entreprises d’Internet gèrent des points d’entrée incontournables dans le domaine de la publicité numérique ; or, bien souvent, leur technologie publicitaire automatisée récompense ou alimente un contenu contraire aux droits de l’homme au moyen de publicités et, à l’inverse, pénalise le contenu informatif, privant ainsi les organes d’information d’un flux de revenu non négligeable.

À mesure que croît la dépendance des médias à l’égard des plateformes numériques, des voix se sont élevées pour demander que l’on réglemente ces plateformes afin de tenir compte des changements opérés dans le paysage des médias et de la communication. Si elle est favorable à l’autoréglementation des médias sociaux et à leur coréglementation, dans une certaine mesure, à la lumière des normes relatives aux droits de l’homme, la Rapporteuse spéciale souligne que les gouvernements ne devraient pas utiliser la réglementation numérique pour restreindre la liberté d’expression en ligne au-delà de ce qu’autorise le droit international. Les plateformes ne devraient pas non plus se servir de leurs politiques, de leurs pratiques ou de leurs modèles économiques pour fragiliser la liberté, l’indépendance, le pluralisme et la viabilité économique des médias.

Érosion de la confiance dans les médias

On observe une érosion tangible de la confiance du public dans les médias, érosion qui s’est parfois traduite par une hostilité de certains membres du public à l’égard des journalistes. Le manque de confiance dans les médias va de pair avec l’érosion de la confiance du public dans les informations factuelles et avec la montée de discours parallèles et de théories conspirationnistes qui ont de sérieuses conséquences pour les droits de l’homme, la démocratie et la stabilité sociale.

La propagation de la désinformation dans les médias sociaux est un facteur qui a grandement contribué à entamer la confiance du public dans le journalisme indépendant et crédible, ce qui représente une menace tant pour les journalistes que pour l’écosystème informationnel dans lequel ils travaillent. Les campagnes de dénigrement en ligne, en particulier à l’égard des femmes journalistes, et les discours de désinformation, visant notamment les journalistes internationaux, qualifiés d’« agents étrangers », sont autant de facteurs qui contribuent à l’érosion de la confiance.

On observe également une augmentation inquiétante des diatribes que des politiciens prononcent publiquement contre des journalistes, dans le but de délégitimer et de discréditer les journalistes et les médias critiques à l’égard de leurs politiques.

Le rôle de médias très partisans, sous mainmise étatique ou autre − qui, bien souvent, ne sont autres que des canaux de désinformation − doit en outre être reconnu comme faisant partie des principaux facteurs responsables de la perte de confiance du public dans le journalisme. Dans ce contexte, la méfiance du public à l’égard du journalisme factuel est à son tour instrumentalisée, le but étant de fragiliser la crédibilité des médias et des journalistes qui tiennent tête au pouvoir.

Pour renverser ces tendances, un système innovant d’autoréglementation des médias, la Journalism Trust Initiative, a été conçu pour promouvoir un journalisme fiable par l’adhésion à un ensemble de normes convenues relatives à la confiance et à la transparence.

Synthèse de Rokhaya Daba KEBE

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