C’est Grave ! Le Conseil Constitutionnel Du Sénégal Dénoncé En…France
C’est le Juriste Sénégalais Seybani Sougou, exerçant en France qui a saisi l’Association des cours constitutionnelles francophones (ACCF), qui rassemble 48 Cours constitutionnelles et institutions équivalentes d’Afrique, d’Europe, d’Amérique et d’Asie, pour dénoncer les nombreuses violations de la constitution par le Conseil Constitutionnel du Sénégal entre 2016 et 2019. Seybani Sougou informe l’ACCF que les principes de sécurité et de stabilité juridique ne sont plus garantis au Sénégal, en raison des nombreux écarts du Conseil Constitutionnel depuis 2016. Voici ci-dessous l’intégralité de la saisine de Seybani Sougou déposé hier 03 octobre au siège de l’ACCF.
Paris, le 03 octobre 2019
A l’attention de Madame Caroline PETILLON,
Secrétaire Générale de l’Association des Cours Constitutionnelles Francophones
Objet : La crédibilité du Conseil Constitutionnel du Sénégal mise en cause depuis 2016
Madame la Secrétaire Générale,
Le Conseil constitutionnel du Sénégal est membre de l’Association des cours constitutionnelles francophones (ACCF), ayant en partage l’usage du français, qui rassemble 48 Cours constitutionnelles et institutions équivalentes d’Afrique, d’Europe, d’Amérique et d’Asie, dont le but est de promouvoir l’État de Droit et de favoriser son approfondissement. Par la présente, je tenais à vous informer du niveau de défiance extrêmement élevé vis à vis du Conseil Constitutionnel du Sénégal, qui traduit une rupture de confiance entre les citoyens sénégalais et l’institution judiciaire.
Depuis 2016, le Conseil Constitutionnel du Sénégal fait l’objet de vives contestations émanant de divers segments de la société sénégalaise : partis politiques, société civile, citoyens épris de justice, Constitutionnalistes, et professionnels de droit. Le 26 février 2016, pour la première fois dans l’histoire politique du Sénégal, 45 Professeurs de Droit ont signé une tribune pour dénoncer le subterfuge juridique lié au détournement de la portée d’un avis du Conseil constitutionnel, requalifié « Décision » par le Président de la République pour écarter la réduction du premier mandat présidentiel, une requalification qui a permis au Président, d’invoquer l’article 92 de la Constitution aux termes duquel « les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucune voie de recours. Les 45 Professeurs de droit ont relevé de nombreuses violations de la loi fondamentale, dans les termes de la Décision N°1//C/2016 du Conseil Constitutionnel. Ils ont souligné, je cite « l’incapacité du Conseil à fonder son argumentaire sur la substance des dispositions de la Constitution ». Plus grave, les 45 Experts ont estimé que « l’avis du Conseil constitutionnel était en rupture totale avec les enseignements universitaires et participait d’une dépréciation de l’enseignement de la science juridique dont l’institution universitaire, à travers les Facultés de droit, se trouve investie ».
Saisi par le Président de la République le 24 juillet 2017 sur la possibilité « d’autoriser les électeurs de pouvoir voter le 30 juillet 2017 avec d’autres pièces que celles prévues par la loi, sans que la loi en vigueur soit modifiée », le Conseil Constitutionnel, dans sa Décision N° 8/2017 du 26 juillet 2017 a fait preuve d’une incroyable audace en se substituant au législateur. Alors que les articles L53 et L78 du Code électoral prescrivent « que seule la carte d’identité biométrique CEDEAO (Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest) tient lieu de carte d’électeur », le Conseil Constitutionnel a autorisé à titre exceptionnel, pour les élections législatives du 30 juillet 2017, à l’électeur de pouvoir voter avec d’autres documents administratifs que ceux prescrits par la loi. Cette décision du Conseil Constitutionnel a fait l’objet d’une fausse interprétation et d’un détournement par le pouvoir exécutif qui a précisé qu’elle était d’application immédiate sans qu’il y ait besoin de modifier la loi électorale. Or, en vertu de l’article 59 de la Constitution sénégalaise, seule l’Assemblée nationale est habilitée à exercer le pouvoir législatif, et voter la loi.
Le 19 avril 2018, la loi révisant le code électoral, instituant le parrainage intégral aux élections présidentielles de 2019 a été votée dans un climat de forte contestation au Sénégal. A l’époque, de nombreux professionnels de droit avaient soutenu que : « La loi instituant le parrainage intégral était inconstitutionnelle, car elle révisait le mode d’élection du Président de la République, modifiait les conditions de recevabilité des déclarations de candidatures, et d’éligibilité des candidats à l’élection présidentielle, et violait de façon flagrante, les dispositions de l’article 103 alinéa 7 de la Constitution en vertu duquel le mode d’élection du Président de la République ne peut faire l’objet de révision ». En effet, le caractère intangible du mode d’élection du Président de la République a été introduit par la loi constitutionnelle n° 2016-10 du 05 avril 2016 issue du referendum du 20 mars 2016. Selon les termes de son exposé des motifs, la loi vise, entre autres, à instaurer « l’intangibilité́ des dispositions relatives au mode d’élection, à la durée et au nombre de mandats consécutifs du Président de la République. ». Les termes de l’article 103 alinéa 7 (nouveau) de la Constitution du 22 janvier 2001, précisent que « La forme républicaine de l’État, le mode d’élection, la durée et le nombre de mandats consécutifs du Président de la République ne peuvent faire l’objet de révision.». L’alinéa 8 du même article précisant que « L’alinéa 7 du présent article ne peut être l’objet de révision ».
Malgré tout, et en méconnaissance du régime de révision de la Constitution, le projet de loi constitutionnelle sur le parrainage intégral a été proposé au vote de l’Assemblée nationale. Dans sa décision N°1/C/2018, le Conseil constitutionnel du Sénégal, a souligné qu’il n’a pas compétence pour « statuer sur la demande par laquelle les députés requérants lui défèrent, aux fins d’appréciation de sa conformité à la Constitution, la loi n°14/2018 portant révision de la Constitution, adoptée par l’Assemblée nationale le 19 avril 2018… ». Cette incompétence déclarée a ensuite conduit le Conseil Constitutionnel à invalider, dans le cadre du contrôle des parrainages, 19 candidatures aux présidentielles du 24 Février 2019, alors qu’il ne disposait ni des moyens humains suffisants, ni des capacités techniques pour authentifier la validité des signatures de parrains. Aux termes de l’article 29 alinéa 5 (nouveau) de la Constitution sénégalaise révisée : « Pour être recevable, toute candidature doit être accompagnée de la signature d’électeurs représentants au minimum 0,8% et au maximum 1% du fichier électoral général », la « signature » étant la valeur substantielle dans la procédure de parrainage. Or, le Conseil constitutionnel a rendu la décision n°2/E/2019 du 13 janvier 2019 portant publication de la liste provisoire des candidats retenus, en précisant dans son considérant n°10 avoir « examiné les listes sur support papier revêtues de la signature des parrains ».
Le constat est flagrant : il est impossible que le contrôle de plus d’un million quatre cent mille signatures ait pu être accompli en moins d’un mois. En outre, ce contrôle aurait-il eu lieu, qu’il aurait dû être accompli en présence des mandataires des candidats en conformité avec les dispositions de l’article 5 de la décision n°1/C/2018 du 23 novembre 2018 du Conseil Constitutionnel précisant les modalités de contrôle des signatures de parrainage des candidats. Cela n’a pas été le cas. La décision n°2/E/2019 du 13 janvier 2019 du Conseil Constitutionnel viole ainsi les dispositions de l’article 5 de sa propre décision n°1/C/2018 du 23 novembre 2018. Pour procéder au contrôle des signatures de parrainage, pourtant définies par la Constitution sénégalaise comme « signatures d’électeurs », le Conseil constitutionnel s’est ainsi limité à l’examen de fichiers électroniques élaborés par les candidats eux-mêmes selon un format défini par voie réglementaire, excluant la saisie des signatures et donc leur contrôle. A titre d’exemple, les parrains ont été considérés comme des électeurs inexistants par le Conseil Constitutionnel dès lors qu’une faute matérielle (de saisie) sur le prénom ou le nom de l’électeur était identifiée bien que la fiche papier de collecte des signatures fut correctement renseignée.
Dans sa décision N°3-E-2019 (considérant n°48), le Conseil Constitutionnel a éliminé la candidature de l’ancien Maire de Dakar, Khalifa Sall, condamné à 5 ans d’emprisonnement, au motif que « l’article L.31 du Code électoral constitue, en matière électorale, une dérogation au principe selon lequel ce sont les tribunaux, statuant en matière pénale, qui prononcent l’interdiction des droits civils et politiques en ce qu’il prévoit qu’un citoyen, puni d’une peine d’emprisonnement sans sursis pour une infraction passible d’un emprisonnement d’une durée supérieure à cinq ans, est privé du droit de s’inscrire sur les listes électorales et, en conséquence, de la qualité d’électeur ; que la décision de condamnation comporte, par elle-même, la privation du droit de vote et la perte de la qualité d’électeur ». Or, cette disposition est anticonstitutionnelle, car elle est contraire à l’article 8 de la déclaration des droits de l’homme et au principe d’individualisation des peines. En effet, saisi le 7 mai 2010 par le Conseil d’État d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC – article 61-1 de la Constitution française), le Conseil constitutionnel de la France, a déclaré inconstitutionnel, par une décision du 11 juin 2010, l’article L.7 du code électoral. L’article L.7 du code électoral frappait d’inéligibilité les condamnés dans des affaires de manquement au devoir de probité, qu’il s’agisse de concussion d’abus de biens, de corruption active ou de trafic d’influence, d’abus d’autorité, d’atteinte arbitraire à la liberté ou encore de pratiques discriminatoires. Le Conseil constitutionnel français a jugé ces dispositions contraires à la Constitution, s’appuyant sur l’article 8 de la déclaration des droits de l’homme, aux termes duquel : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Le Conseil constitutionnel de la France a précisé que cette peine privative de l’exercice du droit de suffrage est attachée de fait, de plein droit, à diverses condamnations pénales sans que le juge qui décide de ces mesures ait à la prononcer expressément, et remis en cause le principe de l’automaticité de la radiation des listes électorales en ces termes « cette peine accessoire, à la fois automatique et insusceptible d’être individualisée, méconnaît le principe d’individualisation des peines ». Le Conseil Constitutionnel français, fidèle à sa tradition d’œuvrer pour la consolidation de l’État de Droit et la préservation des libertés individuelles et collectives a tiré les conséquences de l’inconstitutionnalité de l’article L7 avec l’abrogation de l’article L. 7 du code électoral, permettant aux intéressés de demander, à compter du 11 juin 2010, leur réintégration immédiate sur les listes électorales. Il est établi que l’article L.31 du Code électoral du Sénégal est inconstitutionnel car Le PREAMBULE de la Constitution sénégalaise précise que « Le Peuple du Sénégal souverain AFFIRME » :
- Son adhésion à la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et aux instruments internationaux adoptés par l’Organisation des Nations Unies et l’Organisation de l’Unité africaine, notamment la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948.
Ces exemples de décisions prises entre 2016 et 2019 sont donnés pour souligner le manque d’indépendance du Conseil Constitutionnel du Sénégal, et l’emprise du pouvoir exécutif vis-à-vis dudit Conseil.
Depuis début septembre 2019, la contestation du Conseil Constitutionnel porte sur la légalité des actes du Président du Conseil Constitutionnel à compter du 12 aout 2016. En effet, Il a été constaté et vérifié que le décret N°2016-1222 n’a fait l’objet d’aucune publicité. Or, la publication dudit décret est une obligation légale aux termes de l’article 5 de la loi sénégalaise n° 70-14 du 6 février 1970 modifiée par la loi n° 71-07 du 21 janvier 1971 fixant les règles d’applicabilité des lois, des actes administratifs à caractère réglementaires et des actes administratifs à caractère individuel qui précise que « les actes administratifs à caractère individuel ne sont opposables aux tiers que du jour où ceux-ci en ont officiellement connaissance ». Cette publicité est nécessaire pour les délais de recours et d’opposabilité. A défaut, tous les actes du Président du Conseil Constitutionnel à compter du 12 aout 2016 sont entachés d’illégalité. La publicité liée à la nomination du Président du Conseil Constitutionnel est d’autant plus fondamentale que l’article 25 de la loi organique n°2016-23 du 14 juillet 2016 relative au Conseil Constitutionnel, précise en son article 25 que les « décisions du Conseil Constitutionnel sont publiées au journal officiel ».
Un ancien Premier Ministre, M. Abdoul Mbaye a saisi par lettre officielle, d’une part le Président du Conseil Constitutionnel et d’autre part, le Secrétaire Général du Gouvernement afin que la preuve de la publication au journal officiel du décret N°2016-1222 du 12 août 2016 soit établie. L’ancien Premier Ministre a précisé qu’en raison de son statut, et de son rang dans l’architecture juridique de notre pays, la légalité des actes du Président du Conseil Constitutionnel à compter du 12 aout 2016, ne devait souffrir d’aucune contestation.
Madame la Secrétaire Générale, la vocation première de l’Association des Cours Constitutionnelles francophones est de favoriser l’approfondissement de l’Etat de Droit. Or, les principes de sécurité et de stabilité juridique ne sont plus garantis au Sénégal, en raison des nombreux écarts du Conseil Constitutionnel depuis 2016. Or, sans respect de la Constitution, il n’y a ni justice constitutionnelle, ni démocratie.
Madame la Secrétaire Générale, depuis 2016, le fonctionnement du Conseil Constitutionnel du Sénégal n’est plus conforme aux idéaux de l’Association des cours constitutionnelles francophones.
Madame la Secrétaire Générale, au vu des manquements graves relevés, toutes les actions que l’ACCF pourrait entreprendre, visant à préserver et à consolider l’état de Droit au Sénégal susciteraient l’adhésion des citoyens épris de paix, de justice, de liberté et de démocratie.
Vous remerciant par avance de l’intérêt porté à ma démarche, et des suites que vous pourrez lui apporter, je vous prie d’agréer, Madame la Secrétaire Générale, l’assurance de mes salutations distinguées.
Seybani SOUGOU
E-mail : sougouparis@yahoo.fr
Liste des annexes :
Annexe 1 : Décision N°1//C/2016 du Conseil Constitutionnel du 12 février 2016
Annexe 2 : Manifeste de 45 professeurs de Droit et de Sciences Politiques contre la « Décision N°1//C/2016 » du Conseil constitutionnel et l’interprétation qui en est faite par le Président de la République du Sénégal, M.Macky Sall
Annexe 3 : Décision N° 8/2017 du Conseil Constitutionnel du 26 juillet 2017
Annexe 4 : Élections législatives du 30 juillet 2017 et vote sur présentation des documents autres que les cartes d’électeurs biométriques CEDEAO : pour l’adoption d’une loi de ratification. Professeur Jacques Mariel NZOUANKEU, Directeur de la Revue des Institutions Administratives et politiques de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar
Annexe 5 : Lettres officielles de M. Abdoul M’Baye, Ancien Premier Ministre du Sénégal, adressées respectivement à l’actuel Président du Conseil Constitutionnel du Sénégal et au Secrétaire Général du Gouvernement
Annexe 6 : Plainte de M. Macky Sall en date du 01 février 2012, contre l’Etat du Sénégal, pour violations des Droits de l’homme (à l’époque il était dans l’opposition).